Tuesday 16 January 2007

The first few pages of Les mile et une bibles du sexe

Note au lecteur
Ce livre etonnera sans doute le lecteur ; mais si je prends sur moi de presenter ce livre, c`est aussi pour lui demander assez d`indulgence pour ne pas crier au scandale.
Que le lecteur pense seulement que quiconque fait l`amour, ne pense plus a penser. Il en arrive au point ou il ne pense plus a rien. Il vit. Il se veut vrai, et il existe.
Qu`on le veuille ou non, tout couple sain est erotique, chacun selon sa propre formule. Et ce livre est un document. C`est un voile qui est leve sur la vie privee de divers couples. Peut-etre les connaissons-nous. Cette vie des couples est affaire privee, et ne merite en rien les facilites de jugements peremptoires.
Je ne pretends rien apprendre au public ; j`ose seulement le prier de ne pas reprouver, de ne pas se choquer, mais d`essayer avec moi de comprendre.
Finalement, il ne faut pas juger. C`est a des etres humains que l`on a a faire, et c`est en etre humain qu`il faut comprendre.
Aucun fait en cet ouvrage n`est invente. Mais, parce que “la censure a perdu ceux qui ont voulu s`en servir”, ce livre n`etant pas un roman a cles, toute resemblance avec des personnes physiques serait fortuite.

Avertissement
C`est le destin du sexe de paraitre moins romantique que le desir.
De la sans doute le classicisme vivant de sa pratique. L`amour y merite sa place au meme titre que la perversion. Le culte de la complicite y est l`evangile ou l`acte noie les tragedies individuelles. Et les mondes divers de l`orgasme et de la jouissance y deviennent des venins rares : entretenus par le genie de l`erotisme.
Aussi ne faut-il point s`etonner que, pour avoir longtemps cherche, puis trouve (ou manqué) le culte d`Eros, le sexe se berce de mille et une utopies. C`est que le corps y est erudit, et que le plaisir se reve une vie de genie entre le foyer et le preche.
Mais, les gestes, les reactions, les psychologies, les tendresses, les jouissances : graves, meditatives, penibles ou debridees – rien de cela ne permet de conclure en affirmant qu`il n`est en matiere de sexualite, qu`une seule norme. Une seule verite. Car le sexe etonne. Mais le corps interroge. Et le cerveau apprend. Or la sentinelle du desir tremble de se voir desarconnee. Voila l`erotisme des lors a nouveau etudiant…
De l`amour le plus simplement, le plus naturellement copule : a deux, il va aux “amities particulieres” et se lie aux echanges varies. Mais aussi, il rencontre le toucher sensuel d`autres psychologies. Ses inventions, en consequence, fondent – a l`imitation de ces rituels nes en pays d`ombres qui ne mentent pas – des religions dont le plaisir est le prophete. C`est la le voyage fabuleux dont rendent compte les “confessions-poker” d`Utto Rodolf, confessions devenues sous ma direction “Les Mille et Une Bibles du Sexe”.
En novembre dernier, en effet, m`appellant aux editions du Seuil, un grand aristocrate parisien me demandait rendez-vous, après maintes fievres oratoires. Il y a tant d`etonnement a etre sincere, que je crus voir dans la rhetorique dudit aristocrate une action cache : que me voulait-il au juste ?
Je le vis ; il me remit un manuscript – lourd de 2.400 pages. Rien de saillant. Mais une verite d`accents, une traduction d`aventures erotiques singulieres, des details ou tout a coup le sexe voit la lumiere, et, entre des ardeurs considerablement variees, prefere les expressions les plus intenses .
C`etait un manuscrit tout en bibles cachees ; religion sexuee de longues promenades de delire qui ecoute le plaisir, et entend comme un sang ancien battre contre les tempes …
J`ai decide, avec l`accord du possesseur du manuscript, d`intituler ces “confessions-poker” : Les Mille et Une Bibles du Sexe. Parce que Utto Rudolf (personnalite fort connue) a trie (après test) ses auteurs sur divers calepins aux milliers d`adresses. Au total, trois cents couples retenus pour se raconter et ecrire leur memoires : gens de professions liberales, du monde des spectacles, des affaires … Malgre leur vie erotique extremement intense, les 600 redacteurs ont donne dans une pornographie au gout douteux. C`etait, de-ci, de-la – parmi les chevauchements des niveaux de langue, ou les maladresses du style – un vocabulaire stereotype, truffe des mots argotiques habituels. L`ensemble, touffu, foisonnant, vecu et authentique, certes, mais par trop vide de tout capital esthetique, evoquait cette panoplie de publications indigestes ou l`on confond l`erotisme et ses faux : lesquels sont des manuels de gymnastique a domicile doubles de cours d`anatomie detaillee. De psychologie : point. Nul veritable support au recit.
Utto Rudolf (en cachant sous ce pseudonyme l`identite de l`aristocrate, j`assure tout ensemble l`anonymat a tous ses partenaires dans ce roman-document) Utto Rudolf, donc, m`a autorise a telephoner, a interroger. C`est qu`il cherchait un guide, un conseiller.
Or, certains passages erotiques de mon roman, Le Devoir de Violence, lui ayant paru plus que passables, Utto Rudolf a cru pouvoir m`investir des fonctions de directeur litteraire. J`acceptai de jouer ce role, après m`etre assure au prealable l`accord de ceux a qui je devais le couronnement de mon premier roman : divers membres du jury du prix Renaudot. Ils ne desavouerent pas mon initiative : je pris donc sur moi de charpenter le texte, de le corriger entierement, et enfin de l`editer. Parce que, face a la surenchere actuelle des choses de l`erotisme, il n`etait meme plus (a une ou deux exceptions pres) de livre erotique : tous les gouts etant dans la nature, et surtout les mauvais gouts.

Mais d`abord, qu`etaient ces “confessions-pokers” ?

L`expression n`est pas de moi. Elle est l`invention de l`un des cerveaux de l`Express, qui m`avait accueilli a son bureau a propos de ce livre. Les parieurs de ce jeu de “confession-poker” sont par excellence amateurs de “parties” diverses : allant de reunions d`amis (trois a six couples) au gigantisme (trois cents couples) en passant par les messes noires, les ballets roses ou bleus, les scenes de pendaison, les inventions insolites en Ardeche, dans un village abandonne, et au dilettantisme encore plus savant que la capitale discrete mais raffinee des excursions sexuelles : Troyes.
Les “confessions-pokers”, donc, c`est l`apogee de la faculte erotique. Elles revelent, extraites de leur gangue d`impuretes verbales, toute l`originalite de l`erotisme le plus neuf, le plus troublant. Les parieurs, en effet, ont choisi de conter l`aventure erotique la plus fabuleuse que l`experience leur ait donne de vivre. Au besoin, ils peuvent choisir le jour dudit recit, le jouer, se deguiser et faire revivre leur aventure en laissant d`autres amis mimer et faire l`amour, mais selon un style dont le pouvoir d`evocation donne la cle de cette eclosion de l`erotisme, ou de son eclatement. Qui perd y devient esclave. Car cet esclavage prend tout de suite corps. En effet, l`on doit exceller a traduire a chaque recit l`aventure erotique la plus choisie avant de meriter un partenaire. Mais, si ledit partenaire eut prefere pour partenaire un autre partenaire, ou que le mari ou l`epouse de qui a conte et joue son propre passé erotique veut garder sa compagne, alors tout change. Le partenaire qui voudrait le conteur pour amant ou maitresse acquiert ledit conteur – fautif d`avoir mal conte – en contant a son tour quelque chose de fabuleux. S`il gagne, si personne dans l`assistance – entre les treves de l`orgie et de ses folies – ne releve le defi pour depasser par un recit encore plus pousse le dernier parieur, comme aux encheres, c`est adjuge. Le bon conteur aura le droit de passer trois jours avec le partenaire battu du meme ou du sexe oppose. Si ledit conteur est marie, son epouse devra souscrire au reglement interieur du harem, et la nouvelle epousee, veiller en tous points au plaisir du couple qu`elle aura pour tache de servir : avec le plus grand amour et la plus grande sincerite. Si le mari de cette femme-esclave, desireux de garder son epouse, veut conter quelque chose de plus fort, mais perd, il est repeche par toute maitresse a qui il aura prouve, devant temoins, etre a la hauteur … Alors, a tout le mieux, peut-il esperer servir humblement son epouse – elle-meme esclave du premier couple vainqueur. “Servir son epouse” c`est-a-dire n`avoir d`initiative que si l`epouse se voit accorder l`autorisation d`autoriser son epoux a la prendre.
Les inventions, on le voit sont variees, et cet avertissement n`a pas la pretention d`en rendre compte de facon exhaustive. Car il est impossible de rendre compte de cette valeur essentiellement irrationnelle et merveilleusement viscerale qu`est le sexe. Aussi faut-il laisser vivre Eros en ce livre a cles, ou j`ai tenu a brouiller les pistes. C`est pourquoi il n`est pas jusques au personnage principal, en qui je n`ai fondu deux personnages. Regis – c`est le nom du heros (le lecteur n`a nul indice de sa profession ou de son age, et encore moins de ses traits – et pourtant, il est extremement present par tout l`univers interieur de sa psychologie, son art, son style de grand meneur de jeu) – Regis, donc, un jour gare sa voiture (une Rolls) en double file. Un agent de police veut le faire circuler. Mais Regis descend, ote le masque de “ses larges lunettes noires, et sourit”. Aussitot l`agent se met au garde a vous, salue, fait circuler et hele un taxi. Au lecteur d`imaginer le reste. Sur un mot, donc j`imposais telle retouche, sur un autre, j`exigeais d`autres confessions – et une nouvelle pensee eclatait.
Je telephonai a Utto Rudolf, epluchais le texte qui n`avait d`autre logique que les derobades de son illogisme. Toujours il ecrivait ou faisait ecrire par l`interesse(e) un temoignage qui hesitait moins a prendre forme. L`illogisme erotique, les rendez-vous, les avant et après l`amour, l`activite cerebrale eprouvant tour a tour les corps et leurs habitudes nouvelles, tout cela a justifie mes coups de telephone – dont le montant s`elevait au prix d`une voiture (il a fallu joindre au besoin la province, Londres, Bruxelles, les Canaries, les Bahamas …)

Il a fallu depeindre, autant que ces etonnantes confessions, les arrieres-mondes dont elles etaient lourdes. L`erotisme seul parle ; la litterature n`apporte que la sensibilite cachee, inconsciente, inconnue de soi, qui allume l`intelligence des sens et vivifie ses donnees. Le sexe s`integre dans le foisonnement de la vie, ou il n`apporte plus ni paix, ni desordre, ni maux ni demi-gloire tardive ni litterature marginale, mais un mode d`etre, dont la vie est tout interieure. C`est ce mode la qui eclaire ces impetuosites soudaines, ces defaillances, cette longue faim ou nous depassons le domaine du plaisir pour nous exprimer. Aussi bien ici, l`erotisme est-il entierement soumis a son pouvoir propre. Non satisfait d`en faire le lieu malseant ou s`ebroueraient les expressions diverses d`une sensiblite intelligemment defoulee, il s`avise d`edifier les vies privees sur les ardeurs, les faiblesses, les palpitations profondes d`une sincerite que le plaisir ne peut mettre en formule. Le propos metaphysique est ainsi inseparable de l`erotisme a l`oeuvre : comme un chef-d`oeuvre poetique. Cette attitude a besoin de tous les moyens pour canaliser ses puissances. Trop souvent, faute de beaux livres, nous avons vu le sexe donner toute sa force et s`abattre vaincu ; c`est qu`il cherchait, avec l`auteur, la mesure adequate. Et le fond meme de la nature de l`erotisme, est cette psychologie, cette esthetique, cette sensibilite que tout atteint et qui repond a tout. Aussi sommes-nous tous concernes.
Mais nulle question pour moi de me specialiser dans ce domaine. C`est la mon premier essai – et le dernier. Et, si j`ai pris sur moi de presenter Les Mille et Une Bibles du Sexe, c`est egalement parce que, en raison de certains aspects erotiques de mon premier roman, divers pays africains ont rejete de leurs frontieres Le Devoir de Violence. J`etais, aux yeux de chefs d`Etats irresponsables ou incultes, j`etais, pour avoir ose dire du Negre qu`il faisait l`amour, un cartieriste vendu a une France raciste, laquelle s`amusait de voir denigrer par un Noir les moeurs des peuples noirs. Soit. Il est bon d`etre primitif, certes, mais impardonnable d`etre primaire. Tant pis pour les primaires qui se revent censeurs.

YAMBO OUOLOGUEM
Aucun plaisir n`est en soi un mal. (Epicure)

2 comments:

Anonymous said...

You write very well.

Anonymous said...

Thank you but it's my father that wrote it, I have just copied it to the blog.